C. Villiger: Usages de la violence en politique

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Titel
Usages de la violence en politique (1950–2000).


Autor(en)
Villiger, Carole
Erschienen
Lausanne 2017: Antipodes
Anzahl Seiten
296 S.
Preis
CHF 32.00
URL
von
Moisés Prieto, Institut für Geschichtswissenschaften, Humboldt-Universität zu Berlin

En se fondant sur un tour d’horizon des phénomènes de violence à but politique en Suisse, Carole Villiger se propose de questionner le mythe d’un pays bucolique dans l’après-guerre. L’ouvrage qui se base sur sa thèse de doctorat défendue à l’Université de Lausanne entend analyser l’importance de la violence comme forme de revendication politique dans un pays officiel et apparemment «épargné» par la violence. L’angle d’approche s’articule autour de deux axes: d’un côté, fonction et signification de la violence, de l’autre, perception et interprétation que l’État fait de cette violence. À cette fin, l’auteure recourt à un corpus de sources vaste et hétérogène comprenant les fonds des Archives Fédérales Suisses, des Sozialarchiv zurichois, du Hamburger Institut für Sozialfor- schung, la presse suisse et même l’histoire orale grâce à un nombre considérable d’entretiens avec des témoins comme Claudia Bislin, Gaston-Armand Amaudruz et Dick Marty, entre autres. Chacun des cinq chapitres se termine par une conclusion concise. Villiger traite d’abord la violence dans la lutte entre les séparatistes et les anti-séparatistes jurassiens, antagonisme articulé autour de groupes comme le Front de libération du Jura, le Rassemblement jurassien, le groupe Bélier et le groupe Sanglier, sans oublier la bienveillance des autorités bernoises et fédérales envers les anti-séparatistes. Le deuxième chapitre est consacré à l’extrême gauche suisse, englobant les mouvements et les militants anarchistes, communards, autonomes et antinucléaires. Si la société et les médias montrèrent de la bienveillance envers le groupe anarchiste Ravachol qui au début des années soixante lança des cocktails Molotov contre la façade du Consulat espagnol à Genève, la violence des années 1970 poussa les autorités policières et judiciaires suisses à répondre à la recrudescence de la violence en introduisant le terme de «terroriste» dans leur taxonomie. Puis, vient le tour des mouvements de l’extrême droite, illustrés par les skinheads et d’autres groupes racistes des années 1980 – phénomènes présents surtout dans la Suisse alémanique –, sans oublier le climat d’hostilité envers les étrangers depuis les années 1960 et le mouvement autour de James Schwarzenbach, ni le rôle du négationniste Amaudruz. L’auteure consacre le quatrième chapitre au soutien suisse aux mouvements radicaux étrangers comme la Rote Armee Fraktion ou les Brigate Rosse, mais aussi à l’extrême droite. Ces engagements englobaient des pratiques qui allaient de la mobilisation contre les conditions d’incarcération jusqu’au recel d’armes. La Suisse fut aussi un carrefour important pour les mouvements de libération et d’indépendance dans le contexte de la décolonisation. Villiger se centre sur les cas de l’Algérie, de l’Arménie et de la Palestine. Le soutien aux organisations arabes (FLN, FPLP) attira dans ces filets des militants d’extrême droite (François Genoud) et d’extrême gauche (Bruno Bréguet).

Bien que Villiger renonce à fournir une définition précise des termes «violence» ou «terrorisme», elle envisage non seulement la violence physique d’un attentat mais aussi la violence verbale de l’extrême droite, la violence invisible d’un État en proie à une paranoïa anticommuniste et celle qui stigmatise les ex-militants qui, après leur peine de prison, cherchent à se réinsérer dans la société. La structure intelligente et intelligible est cependant parfois troublée par les nombreuses parenthèses dans le fil du texte, contenant des notes biographiques ou sur des organisations, qui empêchent une lecture continuelle. L’usage de l’histoire orale qui permet de compenser les documents (toujours) inacces- sibles mais aussi d’oser une histoire plus subjective et plus vive est sans nul doute un enrichissement dans cet ouvrage. Toutefois, en recourant parfois à un contraste avec la presse, l’auteure prive l’histoire orale de son valeur. En revanche, le style plutôt journalistique et audacieux rend ce texte accessible pour tout public. D’ailleurs, il s’agit d’un livre essentiellement empirique, les aspects théoriques tenant une place mineure. Cela n’est pas forcément un désavantage si on considère la quantité exorbitante d’œuvres consacrées au sujet de la violence politique. Néanmoins, le rôle des émotions auquel Villiger attribue une certaine importance n’est traité que d’une manière très périphérique et superficielle, sans profiter des avantages de l’histoire orale, heuristiques désormais établies dans l’histoire, et sans considérer des ouvrages pertinents, par exemple, sur la peur ou la nostalgie. Parfois on constate une incohérence dans l’argumentation. Dans ce contexte, l’analogie faite entre la critique du procès de Nuremberg de la part d’Amaudruz et la défense de skinheads dans un procès judiciaire par leur avocat Pascal Junod ne convainc pas vraiment. En outre, la cohérence entre la mort du néonazi Frank Schubert en 1980 et l’attaque d’un Malien par un groupe de skinheads en 1997 semble tirée par les cheveux pour parler de «réseaux» des groupes d’extrême droite suisses avec des homolo- gues étrangers. D’ailleurs, aucune mention du volume Schweizer Terrorjahre de Marcel Gyr, paru en janvier 2016, sur un entretien secret au début des années 1970 entre des représentants du gouvernement helvétique et des membres l’Organisation de libération de la Palestine, ni du «petit éclat» parmi les historiens suisses n’est faite.

En somme, l’ouvrage de Carole Villiger prouve sans aucun doute que la Suisse ne fut aucunement un Sonderfall par rapport au terrorisme et à la violence politique. Ainsi, l’auteure rend justice à la complexité d’un sujet incontestablement actuel et, dans le cas suisse, paradoxalement peu étudié. Pour cette raison, elle incite à vouloir en savoir plus.

Zitierweise:
Moisés Prieto: Rezension zu: Carole Villiger: Usages de la violence en politique (1950–2000), Préface de Michel Wieviorka, Lausanne: Antipodes, 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 2, 2018, S. 423-424.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 68 Nr. 2, 2018, S. 423-424.

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